mercredi 19 août 2009

Pour ceux que ça intéresse d'approfondir la question...

Sa traduction en Français (Courrier International)
adicto.jpgDepuis la crise, cette drogue, que les Argentins appellent “paco”, connaît une consommation exponentielle. Les plus touchés sont les adolescents des quartiers pauvres, mais aussi les enfants.
Un jour, María Rosa González n’a plus supporté de voir son troisième fils, Jerónimo, 19 ans, perdre du poids à vue d’œil, ne plus se laver et ne plus dormir. Pour tenter de comprendre, elle a décidé de le suivre dans le dédale de ruelles d’un grand bidonville des environs de Buenos Aires, connu officiellement sous le nom de “Villa de Emergencia 15” mais que tout le monde appelle “Ciudad Oculta” [Ville cachée]. “Je n’avais jamais entendu parler de cette drogue. C’était quelque chose de nouveau pour moi”, raconte-t-elle. Lorsqu’elle a retrouvé son fils, il était assis sur le sol, en train de fumer une sorte de cigarette qui le plongeait déjà dans un état de bien-être. L’effet ne dura que quelques minutes.

“Après avoir fumé la première cigarette, on éprouve un profond sentiment d’angoisse qui pousse à en fumer une autre”

Jerónimo avait fumé sa première cigarette de pâte de cocaïne – dite “paco” dans le langage populaire – à peine quelques semaines plus tôt. Le paco est une drogue puissante, récupérée dans le fond des récipients où la cocaïne a été préparée. [Il s’agit de crack, le crack étant défini par l’observatoire mondial des drogues comme toute substance à inhaler issue de la pâte de cocaïne.] Ces deux dernières années, le crack fait des ravages à Buenos Aires. A la mi-février, le gouverneur de Buenos Aires, Felipe Sola, a tiré la sonnette d’alarme et demandé que tout soit mis en œuvre pour lutter contre le paco. “Il tue nos adolescents et sévit dans les milieux les plus modestes.” Mais la drogue ne s’attaque pas seulement aux adolescents : selon les proches des toxicomanes et les responsables de la lutte contre le narcotrafic, elle est aussi consommée par des enfants de moins de 10 ans. Une cigarette de paco coûte 1 peso (environ 25 centimes d’euro), un prix à la portée de tous. “Après avoir fumé la première cigarette, on éprouve un profond sentiment d’angoisse qui pousse à en fumer une autre”, explique Norma Vallejo, professeur de toxicologie à la faculté de médecine de Buenos Aires et directrice du Secrétariat de prévention de la toxicomanie et de la lutte contre le narcotrafic (SEDRONAR). “De toutes les substances qui circulent dans la rue, c’est celle qui provoque le plus de dégâts et le plus rapidement”, précise-t-elle.
Le paco est une tentation à laquelle les milliers de jeunes et d’enfants dont la réalité quotidienne n’offre aucune issue ont du mal à résister. Il a fait son apparition en 2002, au lendemain de la crise économique et institutionnelle qui a amené le pays au bord du chaos et fait basculer une grande partie de la classe moyenne dans la pauvreté.
“Après la dévaluation du peso, les trafiquants de drogue ont vu que les gens n’avaient plus d’argent pour les payer. Ils ont alors décidé d’utiliser les restes de fabrication de la cocaïne et de les vendre directement à la porte des ‘cuisine’ des laboratoires clandestins”, indique le Dr Eugenio Nadra, du SEDRONAR.
María Rosa a également été confrontée à un autre effet du paco. Des objets de toutes sortes, y compris ceux d’une valeur insignifiante, ont commencé à disparaître de son humble demeure. Son fils les vendait pour pouvoir s’acheter une autre cigarette. Un peso s’ajoutant à un autre, cette dépendance rapide finit par représenter beaucoup d’argent pour des familles qui survivent avec moins de 400 pesos par mois, parfois 200. “J’ai vu des jeunes de la classe moyenne, bien propres et bien habillés, entrer dans Ciudad Oculta et en ressortir presque nus. Ils avaient tout vendu pour avoir un autre paco”, raconte la mère du jeune toxicomane.

La consommation a augmenté de 200 % en quatre ans

La délinquance grimpe, les petits transas (trafiquants) deviennent les maîtres du quartier. Les drogués sont prêts à tout pour le dealer du coin : donner tout ce qu’ils possèdent, administrer une raclée à quelqu’un ou accorder des faveurs sexuelles en échange d’une cigarette de cocaïne.
“Ils sont si maigres et ont les yeux tellement enfoncés dans le visage qu’on les appelle les morts-vivants”, poursuit María Rosa. Jerónimo est passé de 70 kilos à 46. “Les pauvres se droguent parce qu’ils ont l’estomac vide, et les riches parce qu’ils ont l’âme vide”, commente le Dr Nadra.

“Les pauvres se droguent parce qu’ils ont l’estomac vide, et les riches parce qu’ils ont l’âme vide”

La consommation de “la drogue des pauvres” se concentre principalement à la périphérie de la capitale. Mais la rapidité fulgurante avec laquelle elle s’étend a déclenché l’alarme. Les chiffres (non officiels) oscillent entre 30 000 et 70 000 consommateurs. “Son usage a augmenté de 200 % en quatre ans. En règle générale, un toxicomane prend conscience qu’il a un grave problème avec une drogue au bout de quatre ans environ. Avec le paco, cette prise de conscience survient au bout de neuf mois seulement. Le problème est que beaucoup de drogués ne survivent pas jusque-là”, explique Mónica Neuenburg, spécialiste de la dépendance à la fondation Manantiales, un centre de prévention.
María Rosa González n’a trouvé aucune institution publique pour accueillir son fils toxicomane. Désespérée, elle a mobilisé d’autres mères d’enfants tombés sous l’emprise du paco ainsi que des habitants de Ciudad Oculta. Ensemble ils ont manifesté en bloquant une importante artère de Buenos Aires, l’avenue Perón. “Les médias sont arrivés. Nous leur avons parlé du paco et des ravages qu’il fait.” Et Buenos Aires a ouvert les yeux.
Jerónimo est aujourd’hui entré dans un centre de désintoxication. Il sait qu’il a eu de la chance. Plus de chance que ces fillettes de 9 ans qui passent en se traînant devant la maison de sa mère, esclaves d’un cauchemar qu’elles ne parviennent pas à comprendre et qui les oblige à aller chercher de la drogue quand les autres petites filles de leur âge jouent encore à la poupée.
Jorge Marrirodriga
El País

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